25 octobre 2023
Une rose contre la misère ou le plaidoyer autrement
“- Bonjour madame, je vous offre cette rose.
– Désolée, je n’ai pas de monnaie.
– S’il vous plaît, prenez-la. Aujourd’hui, nous vous offrons cette rose, elle est gratuite.”
C’est avec cette phrase que j’ai commencé à distribuer des roses avec mes collègues et les personnes accueillies pour la Journée mondiale du refus de la misère, célébrée chaque année le 17 octobre.
Le visage surpris, la dame a pris la rose et a écouté attentivement l’objectif de notre action. Elle s’est montrée empathique en comprenant notre démarche.
Dina, éducatrice spécialisée
Le 17 octobre, c’est la journée mondiale du refus de la misère, l’occasion de se mobiliser au sein de l’Accueil Solférino, accueil de jour pour les personnes de plus de 25 ans où tous ceux qui sont en situation de précarité se retrouvent. Cette journée fait écho aussi à la mobilisation organisée par la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS) du 12 octobre qui dénonce « la Braderie du Social », le fait que les besoins augmentent avec la hausse de la pauvreté en France et les moyens pour l’accompagner diminuent, rendant les situations des personnes plus catastrophiques et le travail des intervenants sociaux beaucoup plus difficile.
Déjà en janvier 2023, devant la gare Lille-Flandres, cette situation avait été mise en lumière avec des prises de parole de la Fondation Abbé Pierre et de la FAS et une manifestation ayant regroupé travailleurs sociaux et personnes accompagnées. Mais toujours cette sensation de ne pas être entendus, ce sentiment que le grand public ne se rend pas compte de l’urgence d’intervenir pour lutter contre cette pauvreté grandissante et surtout l’impression que l’Etat et nos élus n’entendent pas que chaque instant perdu, de nouvelles personnes meurent à la rue. Inadmissible en France en 2023 alors qu’il y a un droit opposable au logement, que les solutions existent et qu’il suffit de mettre les moyens suffisants plutôt que d’encore les diminuer.
Pour la journée du refus de la misère, l’équipe de l’accueil de jour s’est tournée vers les personnes accueillies pour leur demander ce qu’ils voulaient faire, quels messages ils avaient à faire passer. Et quand on leur donne la parole, quand on les laisse réfléchir, les idées fusent : ce n’est pas parce qu’on est à la rue qu’on n’a plus rien à dire. Au contraire, l’envie de se battre, de manifester est présente et se mobiliser leur permet de se retrouver acteurs de leur vie, de retrouver un peu d’espoir qu’enfin les choses changent et s’améliorent.
La première action mise en place, c’était l’expression libre. Sur des cartes postales avec la mention de « La Braderie du Social », personnes accueillies, bénévoles, équipe salariée, tous ont pu écrire ce qu’ils avaient sur le cœur. Les mots ont coulé sans difficulté, ils sont forts et démontrent la douleur au quotidien, la colère contre un système qui exclut, la peine et la tristesse de voir que des personnes meurent à la rue.
Le 115 qui ne répond pas, DALO et je me jette à l’eau
Et l’éducatrice qui veut que je sois à l’heure !
A quand la trêve hivernale afin que je garde mon moral à point ?
L’an prochain, serai-je encore là ?Nul ne le sait, même pas l’Abbé.
Il faut détenir un quart des richesses pour que nos voix leur parviennent ?
Nous dormons dans les rues, SVP faites quelque chose. Est-ce que c’est normal ?
Fanny, éducatrice spécialisée : de moins en moins de moyens, de plus en plus de personnes qui galèrent. »
Dany : C’est douloureux d’avoir sa vie « en pause » et de ne pas pouvoir avancer sur des projets pro comme privés
Stacy, travailleuse sociale, doit quotidiennement dire aux personnes à la rue d’appeler le 115 tous les jours pour qu’après 3 à 6 mois, une place d’urgence leur soit peut-être proposée !
S’exprimer, c’est déjà un premier pas sur le chemin du plaidoyer, avoir un message à transmettre, c’est essentiel, mais comment le partager ? Comment faire pour être entendus ? Le relais est effectué au sein de l’Association, sur les réseaux sociaux, auprès de la FAS, mais cela ne suffit pas. Les personnes de l’Accueil de Jour ont voulu faire autre chose, agir différemment. Comment ? Eh bien, si les mots ne suffisent pas, il faut parfois dire ce que l’on ressent avec des fleurs.
Aussitôt lancée, l’idée est mise en œuvre. Une centaine de roses rouges et blanches ont été achetées et tout le monde s’est mis en mouvement pour les emballer afin de pouvoir les transformer en petits cadeaux. Une carte est accrochée à ces fleurs et Dina, Marine et les autres entraînent tout le monde pour sortir de l’Accueil de jour et aller vers les passants, les voisins, les commerces de proximité.
Nous avons décidé de célébrer cette journée en allant à la rencontre des passants et des commerçants, en distribuant des roses, des dépliants, des mots et des poèmes de personnes accueillies ainsi que ceux des travailleurs sociaux. Il nous semblait important de sensibiliser nos citoyens aux différentes difficultés auxquelles sont confrontées les personnes sans abri et de rappeler à nos citoyens l’importance de lutter contre la misère et l’exclusion sociale.
Parmi ces rencontres, il y en a une que je souhaite partager.
Une dame a accepté la rose avec un sourire curieux, se demandant pourquoi nous faisions cela, tout en parlant avec son mari au téléphone en attendant. Sans le savoir, son mari a écouté notre conversation et a demandé à sa femme de nous parler. Il souhaitait nous raconter son histoire.
Il y a une vingtaine d’années, il est arrivé en France avec sa mère, ayant fait une demande d’asile politique. Sans hébergement, ils ont passé de nombreuses nuits à la gare. Il se souvient encore du jour où sa mère lui a dit : « Mon fils, il ne nous reste que 100 francs, devrions-nous nous offrir une nuit à l’hôtel pour nous reposer ? »
Monsieur a partagé son histoire avec beaucoup d’émotion. Son histoire m’a touchée d’autant plus que 20 ans plus tard ça n’a pas beaucoup changé. Il y a encore beaucoup d’hommes femmes et enfants qui dorment à la gare et passent leurs nuits dehors.
Suite du témoignage de Dina
Avec cette action, non seulement le message est transmis de manière large mais en plus, les rapports sont inversés. Pour une fois, les personnes accueillies ne sont plus dans le rôle de demandeurs mais dans celui de la personne qui fait un cadeau à l’autre. Quelle richesse pour eux de pouvoir faire cette démarche ! Que d’émotions partagées !
Ce fut une belle après-midi, le temps était de la partie.
Beaucoup de personnes ne voulaient pas accepter les roses car avaient peur de devoir payer quelque chose. Quelques fois, avec Dina, nous avons dû interpeler à nouveau les personnes qui avaient refusé la rose pour expliquer le sens de l’action et expliquer le sens de la journée du 17 Octobre. La plupart ne connaissait ni cette journée ni la situation dramatique au niveau de l’hébergement.
Des personnes du public qui sont venues avec nous se dégageait la fierté de pouvoir donner quelque chose aux passantes et passants et c’était assez touchant. (…) Cela nous a vraiment montré que notre action avait un sens. Il est vraiment essentiel que cette démarche soit un début de quelque chose et ne se contente pas d’être une action juste pour commémorer une journée ou autre.
Témoignage de Jean-Philippe, chef de service à l’Accueil de jour
Au-delà de cette mise en lumière lors de cette journée spécifique, il est nécessaire de continuer le plaidoyer pour qu’enfin plus aucune personne ne se retrouve sans toit, pour qu’enfin les moyens soient mis afin de permettre à chacun d’avoir un endroit sécurisé où dormir et où construire sa vie. Et ce n’est pas une utopie, cela a été fait pendant le COVID, c’est donc possible et réalisable, ce n’est pas un rêve ! C’est une question de volonté politique et de pression de la part de la population. En tout cas, à l’abej SOLIDARITE, nous allons continuer à écouter la parole des personnes à la rue, nous allons la transcrire, la rendre visible, nous allons nous appuyer sur le militantisme de nos équipes pour participer à ce rôle de plaidoyer. Avec des roses, des poèmes ou des événements innovants, peu importe, ce qui compte, c’est qu’enfin, le scandale de laisser des gens dehors s’arrête.
Le Murmure de la Rue
Écoutez cet appel de ceux qui n’ont plus rien, ceux qu’on ne considère plus
Leur déchéance les a détournés du droit chemin, ce sont “les exclus”
Et pourtant, ils cherchent à s’exprimer, à partager leur histoire
Il faut qu’ils affichent leur déchéance, qu’ils expriment leurs déboires
Tendez l’oreille car leurs voix sont importantes et doivent se faire entendre
Pour l’instant, on n’y prête pas attention et rares sont ceux pour les défendre
Un peu comme si leurs cris étaient assourdis par la misère dont ils souffrent
De simples murmures qui ne leur permettent pas de sortir du gouffre
Soyez attentifs et ne les laissez pas dans l’obscurité de l’ignorance
Il faut leur tendre la main et ne pas faire preuve d’indifférence
Au contraire, c’est notre devoir de devenir leurs porte-parole
Monter au créneau, inventer des slogans et afficher leurs banderoles
Ce n’est qu’en partageant au grand jour leurs souffrances
Qu’on les aidera à affronter cette oppressante désespérance
Ce n’est qu’en se mobilisant à leurs côtés qu’ils reprendront leur place
Dans cette société qui ne leur laisse presque plus d’espace
Je mets leurs maux en poésie pour atteindre le plus grand nombre
J’essaie de créer des rimes qui les feront sortir de l’ombre
J’espère que ces mots serviront d’amplificateurs à leur sourde clameur
Je crois qu’il est temps de témoigner avec bienveillance et bonne humeur
Les voix de la pauvreté et de la misère ne peuvent rester inaudibles
Comme l’Abbé Pierre et tant d’autres, il faut se battre pour les invisibles
Pour qu’un jour, leurs difficultés ne soient plus passées sous silence
Et que le monde entier puisse les approcher avec confiance
Pour ceux qui n’ont plus la force ou l’envie de s’exprimer
Pour ceux qui ne savent plus comment déclamer leurs vérités
Ne cachons plus leur précarité et leur marginalité
Crions haut et fort leur besoin d’exister.
Poème écrit par Vincent Morival, directeur du pôle accueil