28 septembre 2022
Le pôle Accueil en première ligne
Vincent Morival est le nouveau directeur du pôle Accueil de l’abej SOLIDARITÉ. Il succède à Patrick Le Stunff qui a pris sa retraite.
Suivons Vincent dans sa découverte de ce pôle en première ligne des dispositifs pour les personnes privées de domicile. 4 lieux, 4 structures pour aller vers et accueillir : les équipes mobiles, la halte de nuit, l’accueil des 18/25 ans et le CAARUD et enfin l’accueil des plus de 25 ans.
Après dix années à l’abej SOLIDARITÉ sur les dispositifs d’hébergement et de logement, me retrouver à la tête du pôle Accueil n’est pas une exploration en territoire inconnu mais néanmoins, je découvre chaque jour de nouvelles réalités. Je suis ravi de pouvoir à nouveau me confronter à ce public qui vit à la rue, dans la plus grande marginalité face au système. C’est ce public qui nécessite le plus d’aide et de soutien.
Episode 1 : les équipes mobiles, un maillon essentiel de l’aller vers
Avec ma prise de fonction, j’ai désormais la chance et le privilège de pouvoir accompagner les deux équipes mobiles dans ce qui est sûrement une des missions les plus difficiles mais aussi une des plus valorisantes du travail social : aller vers ceux qui n’ont plus rien et créer ou recréer l’envie de repartir de l’avant, malgré les difficultés, malgré les épreuves et les obstacles.
Quand on voit leur professionnalisme et leur savoir-faire, on est loin de l’image classique qu’a le grand public sur les maraudes bénévoles qui se contentent de donner un peu à manger, à boire, un sourire et d’essayer d’atténuer la souffrance de la personne à la rue sans chercher à l’aider à en sortir. Non, même si cette présence bénévole est importante, le travail réalisé par les 4 travailleurs sociaux des équipes mobiles est bien plus profond et essentiel que ça.
Il faut les voir parcourir tous ces espaces quasi inaccessibles, ces endroits auprès desquels je suis passé maintes fois sans jamais même soupçonner la présence de ces invisibles qui y ont trouvé refuge. Je les admire aussi lorsqu’ils s’avancent, aussi respectueusement que possible, et essaient d’entrer en contact avec un «bonjour» et une rapide présentation «C’est l’abej». Parfois, l’accueil n’est pas forcément des plus chaleureux, mais toujours, ils y retournent, se passent le relais afin de créer ce lien si essentiel et qui s’est rompu à travers de multiples traumatismes.
Leur travail va bien au-delà de ce contact et de cet aller vers. Les équipes mobiles effectuent un véritable travail d’accompagnement de ces personnes, une fois le lien de confiance créé. Ils amènent les personnes vers les accueils de jour ou la Halte de Nuit, enregistrent leurs demandes auprès du SIAO (Service Intégré de l’Accueil et de l’Orientation) et du 115, leur permettent d’accéder aux soins en s’assurant de l’ouverture de leurs droits ou en les accompagnant chez leur médecin traitant ou vers le centre de santé de l’association. Parfois, pour certaines situations plus complexes, ils assurent le lien avec les centres d’hébergement, maintiennent leur présence et leur soutien même si d’autres travailleurs sociaux ou médicaux interviennent. Il leur arrive même d’aller rendre visite à des personnes en cure ou en prison, renforçant ainsi un lien de confiance qui est la base de la reconstruction. Quelque fois, ils peuvent permettre aux personnes qu’ils rencontrent à la rue d’accéder à un logement : dans le cadre des dispositifs « Un Chez-Soi d’Abord » (ils font partie des orienteurs), vers le logement transitoire (intermédiation locative, résidence sociale) ou le logement pérenne (public ou privé).
Quand on les voit dans les métros ou les gares ou à bord de leur véhicule de service, on pourrait croire qu’ils passent leur temps à se promener et à prendre l’air ! Surtout qu’ils sont d’un calme et d’une zénitude à toute épreuve ! Mais cette apparente nonchalance cache un engagement sans faille et un professionnalisme à toute épreuve pour venir en aide à ceux qui échappent à tous les autres radars.
Episode 2 : La Halte de nuit, une cour des miracles au quotidien
La Halte de nuit : un accueil de jour, ouvert la nuit ! Franchement, avec une présentation comme cela, on se demande ce qui est passé dans la tête des responsables de l’association lorsqu’ils ont créé ce service ! Au-delà de quelques interventions lors d’astreintes agitées qui m’ont permis d’avoir un premier contact avec cette Halte de nuit, je ne me rendais pas totalement compte de l’importance de cette présence de travailleurs sociaux la nuit. C’est donc avec curiosité que je me suis organisé pour y passer quelques soirées et matinées ainsi qu’une nuit complète, seul moyen de comprendre la réalité de ce qui se passe dans cet établissement atypique.
La première chose qui m’a frappé quand j’ai pris le temps de m’installer au milieu des personnes accueillies, c’est que j’en connaissais déjà une grande partie. Ces personnes sont en effet des grands marginaux aux parcours complexes et ponctués de multiples rechutes, avec des problématiques addictives et psychiques qui se renforcent l’une, l’autre. Il y a aussi de nombreux accueillis qui semblent vivre sur une autre planète, inaccessible au commun des mortels. Que ce soit en raison de consommations de drogues ou de produits psychotropes, ou en raison de leurs pathologies psychiatriques. Entrer en contact avec eux relève du parcours du combattant. Et enfin, toutes ces dames dont l’état de santé et la fragilité apparente sont préoccupants. La Halte de nuit est vraiment un refuge pour tous et malgré la diversité de leurs difficultés, les conflits sont relativement rares. Chacun est soulagé d’avoir un endroit sécurisé où se poser durant les heures sombres de la nuit.
La vie au sein de cet asile de nuit est particulièrement ritualisée. Lorsque la porte s’ouvre à 21h, les plus impatients se bousculent un peu pour entrer. Il faut dire que pour certains, cela fait 4 ou 5h qu’ils attendent patiemment, dans le quartier. Les noms sont enregistrés, les premiers repas chauds sont servis, souvent par des bénévoles dont l’engagement est admirable.
Certains sollicitent l’équipe pour prendre une douche, d’autres pour faire des démarches ou évoquer des difficultés avec leur chien qui n’est pas en forme. Beaucoup racontent leurs aventures du jour. Ou plutôt, leurs mésaventures : bagarres, vols, disputes, plus rarement des choses positives. La vie à la rue est difficile, elle tue même parfois, et toutes ces personnes sont des survivants dont la résilience n’est plus à prouver.
Toute la nuit, le ballet est incessant avec des personnes qui entrent et sortent, pour aller consommer en toute discrétion des produits illicites. Certains restent près des équipes parce qu’ils ont besoin de parler et d’échanger, d’autres essaient de se reposer malgré les bruits ambiants ou les odeurs parfois désagréables de voisins peu attentifs à leur hygiène. C’est parfois aux petites heures du matin que les langues se délient le plus facilement et que la présence éducative est nécessaire. Combien de démarches sociales et administratives ont commencé lors d’une de ces discussions nocturnes ! Évoquer une famille dont on n’a plus de nouvelle, un enfant placé à la naissance, un rêve de retrouver un travail ou un logement, tout est prétexte à relancer des démarches et à renouer un lien avec une équipe sociale qui a trop souvent failli ou n’a pas été capable de s’adapter aux souffrances et difficultés exprimées par le passé.
L’accueil et la stabilisation de ce public que toutes les autres associations refusent ou jugent trop compliqué est clairement assuré parfaitement. L’enjeu est désormais ailleurs. Comment se fait-il que certaines personnes sont accueillies là depuis des mois, voire des années ? Comment les convaincre qu’elles pourront trouver une oreille attentive dans des lieux plus adaptés et qu’il faut qu’elles osent s’éloigner de ce lieu de vie où elles se sentent bien ? Comment les relancer dans une dynamique afin qu’elles quittent le navire pour s’envoler vers une destinée plus convenable et ainsi laisser la place à ceux et celles qui n’ont pas encore parcouru ce chemin du début d’un renouveau ?
Ces questions, l’équipe se les pose, bien évidemment, les réponses ne sont pas simples ! Tout le monde partage le constat que la Halte doit véritablement rester ce refuge temporaire, cet outil de resocialisation limité dans le temps, qui n’a pas vocation à pallier le manque de solutions d’hébergement sur la Métropole, mais qui doit vraiment servir de première marche vers un rebond pérenne pour ceux qui ont touché le fond de la détresse sociale.
Episode 3 : un Point de Repère pour les jeunes, un phare de la réduction des risques
Depuis quelques années, le Point de Repère s’est délocalisé à Saint Michel, dans des locaux partagés avec la Halte de nuit. Pour les anciens comme moi qui ont connu les locaux précédents, près de la gare, c’est un plaisir de voir tous ces espaces et ces conditions d’accueil qui sont dignes et permettent un véritable travail d’accompagnement au quotidien de jeunes ou de personnes qui consomment des drogues.
Au Point de Repère, les jeunes trouvent de l’aide, quelles que soient leurs difficultés. Certains sont très jeunes, à peine dix-huit ans, mais déjà complètement paumés, abandonnés par leur famille, incompris des dispositifs mis en place durant leur minorité, handicapés ou atteints de forts troubles psychiques. D’autres sont dans un parcours d’exil et de migration qui les amène à se poser et se reposer quelque temps à Lille. Pour chacun, le Point de Repère propose un accompagnement individualisé. Un éducateur s’occupe de leur demande SIAO et de leur dossier leur permettant d’accéder à un hébergement ou à un logement, un autre est là pour toutes leurs démarches administratives auprès de la Préfecture ou de leur avocat. Il y a aussi la possibilité de récupérer du matériel pour pouvoir survivre à ses addictions de la manière la plus sécure possible.
Comme tous les accueils de jour, les services de base sont assurés. Les personnes qui y viennent peuvent se restaurer, prendre une douche, trouver des toilettes. La domiciliation est aussi un élément primordial pour recevoir le courrier de toutes ces administrations qui ne se laissent approcher qu’une fois qu’on peut prouver qu’on existe en ayant une adresse. Les travailleurs sociaux sont là pour aider aux démarches, accompagner et soutenir. Mais ce qui fait la force de ce Point de Repère, c’est la grande proximité avec le milieu médical. Des médecins, salariés ou bénévoles, y assurent des permanences quasi quotidiennes, une infirmière fait partie de l’équipe et sa présence dans la salle de vie lui permet d’aller vers ceux qui souffrent et n’expriment plus rien. Des permanences sont réalisées par une psychologue que tout le monde peut solliciter. Comme à sa création dans le bus anglais à deux étages, premier lieu d’accueil en 1985, c’est l’alliance du social et du médical qui permet à l’abej SOLIDARITÉ de réaliser au mieux ses missions et de s’adapter aux besoins de ceux qui la sollicitent.
Et ce que beaucoup oublient, enfin, c’est que le Point de Repère est un Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction de risques pour les Usagers de Drogue (CAARUD). C’est incroyable de voir tout ce qui est proposé, entre les pipes, les filtres, les lingettes et les seringues. Ces outils sont parfois remis en cause par des détracteurs qui y voient un encouragement à la consommation. Lorsqu’on fréquente ces personnes qui souffrent d’addiction ou les équipes qui les accompagnent, on comprend qu’il s’agit vraiment de les aider dans un premier temps à consommer le plus proprement possible et que cette distribution, au-delà de l’aspect purement sanitaire, est aussi un moyen d’entrer en contact et de créer du lien. Ce lien de confiance, on y revient partout dans les structures de l’abej SOLIDARITÉ, est le préalable nécessaire et indispensable à toute relation éducative et sociale, le premier pas vers un parcours qui pourra conduire, si la personne en émet le souhait, à un véritable rétablissement.
Epidose 4 : l’Accueil Solférino, une institution dans la ville amenée à évoluer
Devenir Directeur du pôle Accueil, c’est aussi prendre la direction de l’établissement le plus emblématique de l’association, celui qui existe depuis les premiers jours, même s’il a évolué au fil du temps. On est loin de l’époque du bus anglais à deux étages où les premières personnes ont été accueillies ou du petit local rue Sainte Anne qui ne permettait pas de faire tout ce que les équipes de l’époque voulaient réaliser, mais cet esprit des pionniers est toujours présent. L’accueil de jour est une Institution dont la mission première est toujours l’accueil inconditionnel et l’accompagnement de tous ceux qui se présentent à la porte. Cette pérennité dans les missions et l’état d’esprit est à la fois une bénédiction et une lourde responsabilité à porter. Une bénédiction car c’est la mission la plus noble qui puisse exister. Une lourde responsabilité car il faut maintenir le cap et toujours continuer à apporter aux personnes des services adaptés à leurs besoins qui évoluent.
Heureusement, l’accueil de jour est tenu par des piliers qui sont présents depuis de nombreuses années. Leur connaissance de cet historique et leur expérience sont appréciables. Ils sont eux-mêmes des institutions que toutes les personnes ayant un passé de vie à la rue connaissent. C’est fou le nombre de personnes qui savent qui est Thomas, qui sont Zjelko et Dina, Alexandre ou Stéphanie, sans oublier le responsable, Jean-Philippe. Ils ont pour certains connu les veilles saisonnières où les gens dormaient dans l’accueil, ils ont survécu à toutes les transformations et accompagné des milliers de personnes. Certains les voient comme des sauveurs, d’autres n’oublieront jamais la main qu’ils leur ont tendue à un moment difficile de leur carrière. Quel honneur de se retrouver à la tête d’une telle équipe !
Ici aussi, on va au-delà des services de première nécessité. Certes, il y a un bar, des collations, un service de douche, mais ce qui est important, c’est l’accompagnement social et médical qui est proposé. Les personnes qui viennent dorment à la rue, en squat, chez des amis, et il faut les aider pour leurs recherches d’un lieu d’hébergement ou un logement. Il faut aussi les soigner et leur permettre de se sentir bien, avant de pouvoir entamer quelque démarche que ce soit. Je le savais avant d’arriver, mais ma présence au sein de l’accueil a confirmé que l’accueil Solférino n’est pas qu’un simple lieu de distribution de café.
En revanche, ce qui ne va plus du tout dans cette institution, c’est qu’une nouvelle fois, elle est victime de son succès. Les locaux sont trop petits, mal adaptés aux besoins actuels des personnes. Les espaces sont exigus et, pour mener une activité collective, il est nécessaire de faire preuve d’une grande agilité et d’une grande adaptabilité. Bref, et ce sera une de mes missions, il est nécessaire de déménager et de rêver et réaliser des locaux plus grands, plus aérés et plus adaptés. Ce ne sera pas possible dans le bâtiment actuel, un déménagement est à prévoir. Qu’est-ce que ça va être riche de réfléchir à ce projet avec les personnes accueillies, les bénévoles et les équipes salariées. Chacun va pouvoir apporter sa pierre à l’édifice pour réaliser un projet qui devra être une réponse adaptée et adaptable à tous ceux qui fréquenteront ce nouvel Accueil de jour. L’équipe rêve d’horaires élargis, d’animations et activités quotidiennes, de transformer l’accueil en un véritable lieu de vie qui permettra à la fois de rendre les personnes actrices de leur destin et aussi de servir de plaidoyer pour démontrer que tout le monde est capable de richesse. On l’oublie souvent, mais l’expérience et la résilience des personnes qui ont connu un parcours de rue sont inestimables.