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Elle est en fait un mélange de douceur et de détermination : sa petite voix donne envie de la rassurer mais son regard signale que, soutenue et encouragée, elle est prête à tout. Une capacité d’action qu’elle a longtemps enfouie.

En octobre 2011, son fils la pousse à s’inscrire au cours de français du centre social Mosaïque (Lille Fives).  C’est le début d’une nouvelle vie pour Yamina, arrivée en France en décembre 1996. Accompagnée de son fils, Ahmed, alors âgé de 7 ans et de sa fille de 3 ans, Malika,  elle a quitté le Maroc pour rejoindre son mari, installé avec ses parents à Lille. Ils se sont installés dans l’ancienne épicerie de son beau-père.

Quand, quelque temps après, deux femmes des services sociaux sont venues la voir pour lui proposer d’apprendre le français, son beau-père s’y est violemment opposé : « Les femmes restent à la maison, avec les enfants, et le ménage ». Sa propre épouse, qui n’avait jamais appris la langue de son pays d’adoption, était incapable de se débrouiller hors de chez elle. Mais le pouvoir du vieil homme faiblit, la jeune génération se fait entendre : Ahmed s’inquiète  pour sa mère. Que fera-t-elle si son mari décède, elle qui ne connait même pas  le nom de sa rue ? Yamina l’écoute. Et réfléchit : le seul salaire de son mari, serveur le soir dans un restaurant, ne suffit pas à payer toutes les factures et, maintenant que les enfants ont grandi, elle peut travailler.

Parfois, il suffit de se mettre en route pour arriver, de relais en relais,  jusqu’au but !

La « dame de Mosaïque » l’aide à  s’inscrire à Pôle emploi, mais Yamina essuie des refus de la part des entreprises de nettoyage qui lui renvoient son manque d’expérience. C’est l’abej SOLIDARITÉ qui en 2017 va lui donner cette formation et ces expériences professionnelles qui lui font défaut. Yamina sourit en racontant cela. En 2017 et 2018, sélectionnée par le pôle insertion par l’activité économique de l’association (IAE), elle enchaîne quatre contrats d’insertion de six mois pendant lesquels elle se forme aux produits et aux machines. Elle suit aussi des cours de français qui, lui permettent aujourd’hui, d’écrire et de lire « un peu ».

 Elle peut alors chercher du travail, trouve d’abord un remplacement, puis, en juin 2017, signe un CDD avec l’Apajh, qui l’embauche  en CDI fin octobre. L’association, qui fait surtout travailler des « zicapés » (sic), a fait exception. Yamina rejoint les équipes de nettoyage et va de la douane de Lille aux Archives, en passant par l’école Centrale ou l’université à Villeneuve d’Ascq. Elle a peu de contacts avec les autres femmes, car les équipes changent selon les plannings. De toute façon, elle ne veut pas se mêler à celles qui cherchent des problèmes. 

Avec un contrat de 27 heures par semaine, elle part tôt le matin par le premier métro, rentre pour faire le repas de midi pour son mari et repartir l’après-midi pour un autre poste.  

Autre coup de pouce en novembre 2017 : l’abej SOLIDARITÉ l’aide à trouver un logement plus décent que l’ancien local commercial toujours humide et dépourvu d’eau chaude et de chauffage. Yamina est en vacances pour trois semaines au Maroc quand Villogia tente de la joindre pour lui proposer une visite, un message qu’elle ne découvre qu’en rentrant à Lille car « là-bas », le téléphone passe mal. Elle s’affole, mais heureusement, la proposition tient toujours. Une autre angoisse : elle doit refaire en vitesse ses papiers pour signer le bail. Là encore, on l’aide et tout s’arrange.

Enfin, la voilà installée avec son mari et son fils – sa fille, mariée, les a quittés – dans un appartement refait à neuf à Lille Saint-Maurice, tout près du métro Pellevoisin. Yamina décrit les lieux avec beaucoup de fierté : 70 mètres carrés au 5ème et dernier étage, deux chambres, une cuisine équipée, un cellier, une cave partagée. Elle a jeté tous ses meubles pourris par l’humidité, et, aidée par sa fille, qui vit à Wazemmes et cherche du travail maintenant que son fils Adem a 5 ans,  elle a tout racheté sur Internet.

Ahmed cherche un logement à son tour, car il va se marier. Il travaille dans les pompes funèbres musulmanes et organise le rapatriement des cercueils « au pays ».  

Yamina mélange avec une certaine souplesse, traditions marocaines et influences françaises. Et pas seulement en cuisine. Certes, on ne dira pas qu’elle est moderne, mais elle accueille les changements avec pragmatisme, acceptant, par exemple, d’ôter son voile au travail pour ne garder qu’un petit bonnet noir quand  Arnaud, formateur à l’abej SOLIDARITÉ lui demande de le faire pour plus de sécurité.

 Elle vient pourtant de loin. Au Maroc, c’était la vie à la campagne. Elle et ses frères et sœurs aidaient leurs parents agriculteurs à nourrir et soigner poules, moutons et vaches. Aînée de la fratrie, elle s’occupait des plus petites, et de la maison. De toute façon, pas moyen d’apprendre à lire et à écrire car l’école, à l’époque, était interdite aux filles. « Aujourd’hui, dit-elle, les filles ont de la chance » !

Mais, il n’est jamais trop tard pour apprendre. Et, dans un grand sourire, elle remercie encore « Malika, Anaïs, Sophie, Arnaud et Benoit, qui m’ont aidée, je te jure ».

Marie de Franqueville (Mise en Mots)