Patrick n’est pas très bavard et l’exercice le gêne un peu, je crois. Pas grave. Je pose beaucoup de questions et, il y répond avec sincérité. Même s’il abrège ses réponses d’un « Enfin, bref… » rigolard, qui signifie « Enfin bref, vous comprenez… ». Je ne comprends pas toujours tout, en fait et repose donc une question, suivie du même jeu. Ainsi, cheminant pas à pas, et nous apprivoisant, nous retraçons son histoire.

Patrick est né dans la cour Tonneau, près de l’usine de caoutchouc de Roubaix, en face d’un établissement mi-cabaret, mi-b… ! « Enfin, bref… ». À l’âge d’un an ou presque, juste après la naissance de son frère Bernard, il perd ses deux parents. Patrick est élevé par sa grand-mère, Bernard par une tante. Tous deux ne sont pas donc très proches aujourd’hui, il le regrette. Leur frère aîné est décédé d’une blessure mal soignée.

A  16 ans, bien qu’il ait eu son certificat d’études, il arrête l’école pour soulager sa grand-mère et devient barilleur, puis bobineur dans une usine textile de Roubaix. Il y travaille 12 ans, le temps de devenir tisserand dans le jacquard, un métier qu’il aime. Mais la crise du textile le  met sur le carreau.  Entre temps, à 21 ans, c’est l’armée en Allemagne, à côté de Fribourg où il apprend à se mettre au garde-à-vous et un tas d’autres choses. « On a bien fêté la quille (il perd, même, dans la rigolade ou le rigodon, ce bâton couvert de ses insignes). On m’a proposé de rempiler, mais ça ne m’intéressait pas. Enfin, bref… »

Après l’armée, Patrick épouse Janine, mais, malgré des débuts heureux, ça ne marche pas très. Au bout de neuf ans, excédé de voir qu’elle traîne beaucoup avec une amie et sort au lieu de s’occuper des enfants – deux filles et un garçon – il quitte leur maison de Tourcoing.  À l’époque, il travaille comme intérim dans un restaurant de Lille.  C’est là que viennent l’arrêter les gendarmes parce qu’il n’a pas payé la pension alimentaire fixée après le jugement de divorce. Cela lui vaut trois mois de prison à Loos, en liberté conditionnelle : il sort  travailler la journée et retourne en cellule, la nuit. Patrick avoue : « La prison, ça puait, on était deux dans la cellule, et j’avais les chocottes au début ».

Après son divorce, il se retrouve sans maison, et, pendant 3 ou 4 ans, erre de Lille à Roubaix, pour chercher un endroit où dormir. Il plonge dans l’alcool, la cigarette : « Je n’avais pas le moral… Qu’est-ce que va être ma vie ? J’ai pas de parents, pas d’enfants, pas de femme. Enfin, bref… »

Puis un jour : « J’ai réfléchi, ce n’est pas une vie, remonte tes bretelles, Patrick ! »  Via le 115, il atterrit à l’Armée du Salut qui lui trouve un foyer à Roubaix ; puis l’abej SOLIDARITÉ le loge Porte de Valenciennes où il reste longtemps, se rendant utile à gauche et à droite ; enfin, après avoir retrouvé un travail, il s’installe dans un appartement rue d’Iéna.  Il est alors homme d’entretien au lycée Colbert à Tourcoing, nettoie les classes et le restaurant, pendant 15 ans, « fonctionnaire, quoi ! », jusqu’à 65 ans. Avant d’arriver « ici » (la pension de la rue Pline) 15 jours après sa retraite. La « quille ». Une bonne retraite et un loyer modique.

« Ici, je suis bien »  Patrick a demandé à être mis sous curatelle, histoire d’avoir un coup de main pour tenir son budget, ça le rassure : pas de dettes et, pour cet ancien turfiste et joueur de poker, pas de tentations. Même si, en fait, il n’a plus envie de jouer. Enfin, bref… 

Il vit des semaines tranquilles rythmées par des visites régulières, celle de son fils Damien et celle d’une ancienne voisine, Sandrine, à qui il « fait la popote » le mercredi soir (des pâtes, du bœuf bourguignon, des moules en septembre…), les parties de belote le jeudi (« Ça passe le temps »), un copain à Solferino à aller voir, les courses dans son ancien quartier de Montebello où se trouve aussi son coiffeur, et, exceptionnellement, des sorties et voyages avec l’abej SOLIDARITÉ, à Lourdes, par exemple, ou en Normandie.

Il est en bonne santé (juste des cachets pour l’hypertension depuis un malaise arrivé il y a quelques années) et une visite par mois chez le docteur.

Patrick est heureux ; il apprécie le confort et la sécurité de sa nouvelle vie et pourtant, il est un peu amer « C’est si tardif !  Ma vie a été vraiment dure entre 30 et 45 ans ! Attendre la retraite pour être heureux ? » Même s’il reconnait qu’il a eu des bons moments aussi avant.  Enfin, bref, vous comprenez ? 

Marie de Francqueville – Mise en mots

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