Entrée énergique de Mickaël qui s’installe sur la chaise en face de moi, sans enlever blouson et écharpe. Bien décidé à m’accorder cet entretien, mais visiblement prêt à repartir si les choses ne tournent pas comme il le souhaite. À presque 40 ans, il a un visage et une silhouette de jeune homme, le regard vif et direct de ceux à qui on ne la fait pas. Ou on ne la fait plus. Les traits juvéniles aussi, mais autour des yeux, les quelques griffes d’une vie pas facile. Il parle vite et bien de lui
En 1988, le juge « place » Mickaël et ses frères et sœurs pour les protéger de leur père, un homme qui enchaîne les séjours en prison et terrorise sa famille dès qu’il en sort. Alors que le jeune garçon de 10 ans voudrait tant rester pour protéger sa mère de ce mari alcoolique et violent… Le foyer d’accueil Les Hirondelles de Bailleul lui convient à peu près, mais il ne supporte pas d’être séparé de sa mère. Très vite, l’oiseau s’envole. La police ou les éducateurs le rattrapent toujours, mais jamais avant qu’il n’ait eu le temps de regagner le nid. Un jour, le juge en a assez de ses fugues répétées et le laisse rentrer auprès de sa mère. Sa persévérance l’a emporté.
Retour au collège, puis, à 16 ans, la liberté enfin, mais pour quoi faire ? La rencontre providentielle de Bruno, qui lui trouve du travail dans les champs et l’héberge, le met sur une bonne trajectoire. Bruno le prend sous son aile et lui apprend tout ce que l’adolescent n’a pas reçu de son père. Lui, tout fier, l’appelle Papa en public.
Ensuite, Mickaël travaille dans de grosses entreprises de travaux publics, devenant un vrai professionnel de la pose de canalisations, de bordures. Durant vingt ans, jusqu’à la mort de sa mère, qui le met par terre.
Flash-back.
Pendant toutes ces années, Mickaël n’a pas fait que travailler, il est devenu papa. Six fois. D’abord, à 17 ans et 19 ans. C’est trop tôt, le jeune couple n’y résiste pas. Puis, Mickaël rencontre Cindy avec qui il fonde un foyer stable et a quatre enfants dont la dernière a aujourd’hui 3 ans.
Mais, sa mère tombe gravement malade. Il reste auprès d’elle dans les derniers jours quand, déjà, elle ne parle plus et ne bouge plus que les yeux. Le 31 octobre, alors que les médecins de l’hôpital ne laissent plus aucun espoir, il la supplie : « Ne pars pas demain, c’est le jour des morts. C’est trop triste. »
Elle attend le 2 novembre pour mourir. Tout s’effondre. Mickaël se met à boire, tombe dans la dépression, ne peut plus travailler. Les embrouilles avec sa compagne se multiplient jusqu’à la séparation en 2017. L’hirondelle n’a plus de nid.
Pendant un an et demi, il est dehors, un euphémisme courant pour dire la rue. Il dort à droite et à gauche, dans des voitures, des locaux désaffectés. C’est très dur. Il y a le froid de l’hiver, le bruit, les bagarres pour une barrette ou pour cinquante euros. Mickaël se débrouille pour être toujours présentable et propre, prend une douche là où il peut, lave son linge à la main ou au lavorama quand il a un peu d’argent. Il ne veut pas faire honte à ses enfants, quand « Madame » l’autorise – trop rarement – à les voir. C’est une grande souffrance pour lui d’être éloigné d’eux.
« T’es pas au courant ? T’es mort ! », lui disent un jour les policiers d’Armentières quand enfin ils le retrouvent. (Il doit rendre des comptes au SPIP depuis une fâcheuse bêtise) Parti du jour au lendemain, il est dans la rue, autant dire qu’il n’existe plus pour le monde « normal ». Il décide alors de se prendre en mains et de redevenir lui-même, cet homme plein d’énergie qui ne baissait pas les bras et allait de l’avant. Il contacte plusieurs fois le 115. Sans succès. Quelques jours plus tard, le 2 novembre 2018, soit cinq ans jour pour jour après le décès de sa mère – Mickaël insiste sur cette coïncidence – il frappe à la porte du centre d’accueil de l’abej SOLIDARITÉ, rue des stations. Là, on l’héberge, on l’aide à refaire ses papiers.
Comme il donne volontiers un coup de main aux femmes de ménage, les éducateurs du centre d’hébergement lui proposent de postuler à une offre d’emploi du pôle insertion par l’activité économique de l’association. Pourquoi pas ? Mickaël saisit sa chance. Il n’est de toute façon plus attiré par les travaux publics depuis qu’un coup de couteau dans le foie l’a rendu inapte aux postes les plus intéressants. Il signe son premier contrat le 30 décembre 2018 et travaille d’abord à la pension de famille de Capinghem, puis à la Halte de nuit.
Aujourd’hui, il vient de terminer une période de mise en situation en milieu professionnel pour le métier de laveur de vitres, un métier qui lui plaît vraiment. Il attend une réponse définitive de l’entreprise pour débuter une formation et rejoindre de nouvelles équipes. Les éducateurs de l’abej SOLIDARITÉ continueront à le suivre, pour l’aider à prendre son envol. Il rêve de monter en altitude et… en grade. Être chef d’équipe, non pas pour commander mais pour former et accompagner une équipe, tisser du lien avec d’autres, former une famille quoi !
La solitude lui pèse, comme l’inaction. Lui qui déborde d’énergie s’ennuie vite. Il a besoin de travailler pour se sentir exister, pour oublier l’éloignement de ses enfants. Ce sont eux surtout qui lui donnent l’envie de se lever le matin.
« Bon, une sale vie en vérité, mais comme je le dis, je vais de l’avant » et tirant une certaine fierté de son parcours, il dit à ceux qui sont encore en rade « Prenez-vous en mains, allez de l’avant ». Il ne supporte pas les profiteurs du système qui prennent la place de « malheureux » qui ont vraiment besoin d’aide, et, lui qui, à l’abej SOLIDARITÉ met son nez un peu partout, au risque de déplaire, donne un conseil aux professionnels : que l’aide ne soit pas ponctuelle, mais suivie et quotidienne.
Parce que rien n’est acquis. Parce qu’il faut plus d’une hirondelle pour faire le printemps.
Marie de Francqueville (Mise en Mots)