Jérôme a 28 ans. Il s’exprime avec aisance, aime discuter, remettre les choses en question et s’expliquer. Il écrit et met en musique des textes engagés, tendance Rap. Ce travail de création artistique, c’est sa raison de vivre, ce qui le fait se lever le matin. Sur sa chaîne YouTube (Return), il se présente avec sincérité : « Je sais qui je suis et je ne veux tromper personne. Mais même si je ne viens pas du même monde que les rappeurs historiques, j’ai compris leur message et je partage leur révolte en société. »

Lors de notre rencontre au CHRS Rosa Park de l’abej SOLIDARITÉ à Lille, Jérôme m’en dit un peu plus sur lui :

Il connaissait les grandes lignes de son histoire (né à Reims, placé dès le plus jeune âge en famille d’accueil et foyers, une enfance loin de sa mère), mais en consultant son dossier ASE récemment, il a réalisé qu’il avait vraiment « douillé ». Même si matériellement il n’a jamais manqué de rien. Sa mère, atteinte d’une dépression qu’elle « soignait » par l’alcool, est décédée à 48 ans en 2003. La société a compris trop tard que cette femme, issue d’un milieu petit-bourgeois, blanche, diplômée, bien habillée et avant-gardiste, appelait à l’aide (addictions, violences conjugales, jugement selon les codes sociaux de l’époque). Son père, un maçon immigré venu du sud de l’Italie, n’a pas reconnu son fils et est parti un mois après sa naissance. Il est mort d’un cancer des poumons à cause des poussières de chantier toxiques quand celui-ci avait 6 ans. Écarté de l’une, chassé par l’autre, Jérôme a très peu vu ses parents. « Je ne sais pas ce qu’est une maman et un papa.  Je n’ai pas reçu les codes relationnels à ce sujet. La société en général, c’est un laminoir qui brise les personnalités dans le temps, qui sélectionne dès la racine familiale. »

Jérôme s’est souvent lancé, bénévolement ou pas, dans divers projets à caractère social. Il voulait se battre avec d’autres pour les valeurs auxquelles il croyait. Mais là aussi, il s’est cogné plusieurs fois contre un mur : « Dans le social, on décide pour les gens : choix politiques de toutes sortes, censure, communautarisme et mépris de classe déguisé sont souvent aux commandes. Au total, j’ai fait un an de rue entre 19 et 24 ans. »

Arrivé à Lille à 24 ans, il a été hébergé en CHRS, où il lui a fallu environ 4 ans pour se relever psychiquement, chasser les souvenirs d’abandons et de rejets et retrouver l’envie de vivre.

Jérôme cherche à être reconnu comme artiste : « Depuis l’âge de 18 ans, j’écris et je crée sur ce qui me choque, sur ce qui doit choquer. Mon rap, l’un de mes derniers projets, aborde des problèmes autobiographiques et sociétaux. Certains textes peuvent paraître très méchants, trash, mais ils sont très réalistes. En vieillissant, je suis moins positif, comme usé déjà, mais j’apprends de la vie et progresse. »

L’art a aussi pris possession de son corps, des tatouages racontent son histoire et affichent ses convictions : une grande croix égyptienne sur le cou, synonyme de vie après la mort ; le drapeau kurde en l’honneur aux combattants et combattantes contre Daech ; un caméléon synonyme d’adaptation forcée et de polyvalence ; des tatouages maoris synonymes de combats ; des oiseaux symboles d’évasion ; un ours brun très graphique synonyme de résistance envers le nazisme ; un croquis de silhouette de femme montrant son rêve et sa quête d’amour ; une tête de lion tribal synonyme de loyauté ; un tigre coloré et des griffes synonymes de force envers les coups et blessures de la vie.

« Avoir la famille que je n’ai jamais eue ? Un travail pour lequel je suis heureux de me lever ? J’ai peine à me projeter dans 10 ans puisqu’on m’a très tôt privé de mes rêves… Quand j’étais plus jeune, j’allais vers tout le monde. Aujourd’hui, je suis méfiant, même si je sais que certains croient en moi.

 Je me préserve, me concentre sur ma musique pour mieux revenir au monde et reprendre vie un jour… Return. »

Marie de Francqueville / miseenmots.com

Pour découvrir la musique et les textes de Jérôme 


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