6 mai 2020
Confinés dehors …. fin du journal
Jeudi 30 avril : rue Grande Chaussée. J’y passe rarement car la rue, sans commerces de bouche, est vraiment désolée. Une femme est « nichée » dans l’entrée d’un magasin de luxe. Elle dort. Son chien aussi. Je ne la dérange pas. À mon retour, c’est lecture pour elle. Un bon sujet pour entamer une causette, mais j’hésite un peu. Il n’y a pas de sonnette à la porte, et pas de porte d’ailleurs. C’est comme entrer sans frapper. Vivre sans abri, c’est vivre sans intimité. Allez, je me lance avec un bonjour et reçois une réponse embrumée et un regard vaguement intéressé. Qu’est-ce que vous lisez ? « Oh ça parle du Moyen-âge. Mais j’ai un peu de mal à lire. J’ai cassé mes lunettes. Des 3. Alors, je choisis des livres avec des gros caractères. » Je lui pose quelques questions, m’intéresse à son chien qui lèche quelques croquettes humides posées sur le trottoir. Jo refuse d’aller dormir dans les foyers où son chien n’est pas souvent accepté ou alors, séparé d’elle et mis en cage. Et puis il y la brutalité des hommes. Ses phrases sont empreintes de réserve et de douceur. De finesse aussi. Le chien de Jo s’appelle Rantanplan. Une héroïne de roman fatiguée et son chien de BD. Je me fends, je ne sais pourquoi, d’une remarque sur l’incompétence légendaire du corniaud. « Mais, non, il n’est pas stupide, Rantanplan. Il est décalé, il est dans son monde ». Sa réponse me laisse baba. Je reviens, après avoir fait, comme promis, un saut dans la pharmacie la plus proche pour lui trouver des loupes de lecture. Elle est déjà partie. Je la retrouve à la même place le lendemain, lui donne les lunettes, et je la regarde un peu mieux : ses cheveux épais et gris descendus en chignon lui font comme un bandeau à l’ancienne. Que vous-a fait la vie pour vous envoyer dans ce monde, Jo la sage, vous que je verrais bien disserter avec passion de Jane Eyre ou de vos sœurs March ? Revenez.
Samedi 2 mai 2020 : Matthieu, le retour. On discute, c’est devenu une habitude. C’est lui qui pose des questions aujourd’hui. Je lui parle de mon métier, écrire des histoires de vie. Ça l’intéresse. Je lui promets de lui apporter des portraits écrits de personnes hébergés par l’abej SOLIDARITE. « Moi, mon histoire, whaouah » je peux vous la raconter. Rendez-vous est pris. Un portrait de lui pourrait peut-être lui servir à se présenter à un employeur…
Mardi 5 mai 2020 : à la sortie de la boulangerie le Lion d’Or, je retrouve un homme a qui j’ai donné deux euros la veille. Une allure de baroudeur. Il me salue d’un sourire Je lui demande comment il va. « J’ai froid » c’est vrai qu’il fait frais ce matin. Quand je lui dis que je ne le voyais pas avant dans le quartier, il me répond qu’il était à Saint Michel avant, mais qu’il s’est fait voler toutes ses affaires, pourtant cachées. « De quoi avez-vous besoin ? » Une maraude lui a donné un sac de couchage et un tapis de sol, mais il lui manque des vêtements chauds et surtout un sac à dos. Bien mieux que le sac de courses en plastique.« Je m’appelle Sullivan, Sully en fait » me dit-il. À demain, même heure, Sully. « Dans le coin, mais je bouge avec le soleil » D’ici là, j’aurais retrouvé le sac à dos de mes années scoutes et demandé à mon ami de dénicher dans son placard un ou de vêtements chauds.
Mardi 5 mai 2020 à 20h : promenade du soir. Nous recroisons Philippe, qui cherche, encore, des croquettes pour sa chienne Akira et de l’argent pour se loger et qui, encore, nous montre sa jambe blessée, pas belle à voir. L’Armée du Salut lui a refait son pansement, mais c’était il y a trois jours déjà. Il revoit l’infirmière demain. Vu l’état de son jogging et de son sweat, portés sans sous-vêtements (nous dit-il !), difficile de maintenir un niveau d’hygiène suffisant pour guérir ses blessures ulcérées. Je vais regarder du côté des bagages laissés dans mon appartement par mon fils s’il n’y a pas un ou deux t-shirts qui traînent. Je suis sûre qu’il sera d’accord.
Pour lire le journal des jours précédents : https://abej-solidarite.fr/2020/04/27/confines-dehors-suite-du-journal-dune-lilloise/
Marie de Francqueville – www.miseenmots.com